TIKEHAU
Entre paradis et enfer




Tikehau, de la forme d'une perle noire, est une île posée à fleur d'eau.
Comme 76 de ses sœurs Polynésiennes, c'est un atoll de l'archipel des Tuamotu.
Son pourtour est de 80 km et son lagon central, d'un diamètre maximum de 28 km.
le lagon vu depuis le village
Un atoll est un anneau corallien, presque entièrement soudé. Le volcan qui constituait l'île centrale, il y a 6 millions d'années, a disparu, laissant place à un lagon. Il s'est complètement enfoncé dans l'océan. Les coraux qui vivaient accrochés aux flancs du volcan, ont continué à croître pour rester proches de la surface, constituant l'anneau visible aujourd'hui. Une vie précaire s'accroche sur cet esquif sans relief, au sol peu fertile.
à gauche, la piste d'atterrissage. de ce côté se trouve la ferme perlière
Ce lundi 6 février, l'ATR de Air Tahiti survole l'atoll, nous offrant une vue d'ensemble. On est émerveillé par les couleurs du lagon qui tranchent sur le bleu outre-mer de l'océan. On repère facilement la piste d'atterrissage, longue ligne blanche, au centre de la cocoteraie. Nous ne voyons pas le village, et nous constatons que l'anneau corallien est creusé de sillons dans lesquels l'eau circule. On ne peut pas faire le tour de l'atoll à pied. C'est plus grand que nous l'imaginions. Nous ne distinguons pas bien la partie diamétralement opposée.

Nous venons pour essayer de comprendre comment on arrivait à vivre dans un lieu aussi petit et menacé par la puissance de l'océan.
le bâtiment de l'aéroport Noella, toute souriante, s'avance vers Guy
Nous atterrissons sur ce qui est sûrement le plus joli petit aéroport du Pacifique. L'élégante bâtisse se résume surtout à une grande toiture, presque pas de murs et pas du tout de vitres. Dans l'unique salle, les arrivants se mélangent aux partants. Les logeurs accompagnent les uns et accueillent les autres.
Noella, notre hôtesse, d'un oeil exercé, repère Guy. Elle nous gratifie chacun, d'un traditionnel collier de fleurs odorantes.
Lorsque les bagages sont descendus de l'avion, elle nous conduit à son énorme pick-up blanc. Sans faire de manières et malgré les protestations de Guy, elle s'empare de l'une de nos lourdes valises, qu'elle dépose sans effort à l'arrière du véhicule.
le bungalow photo prise depuis la terrasse du bungalow
la fenêtre de la salle commune, donne elle aussi sur le lagon

Quelques minutes suffisent pour parcourir les quelques centaines de mètres qui nous séparent de la pension Tévaihi. Nous traversons le village et Noella en profite pour nous enfaire découvrir le centre. Elle tend le bras vers des cases : la boulangerie, l'épicerie, la mairie, le snack chez Cindy. C'est un peu rapide pour nous ! Plus tard, nous irons à la mairie chercher un plan, car à chaque question, Noella répondait : "c'est en face".

Nous sommes superbement logés dans un bungalow avec vue imprenable sur le lagon. La douche est à l'eau froide, mais il y a une moustiquaire au dessus du lit, une terrasse face à la mer et une télévision. Nous allons enfin, avoir des informations en français. Et bien non! Elles sont en polynésien. Les informations nationales et la météo passent à 19h, alors que nous prenons notre repas, dans la salle commune.

Nous sommes dans la seule pension de famille qui soit équipée d'un appareil nous permettant de payer avec la carte bleue. (Détail très important pour nous car nos liquidités sont limitées.) Nous demandons à Noella de nous prendre en pension complète, mais elle n'a pas envie de s'occuper de nous le midi. Ce sera seulement la 1/2 pension. C'est dommage pour nous, car elle fait drôlement bien la cuisine. Comme il est midi, elle nous propose d'aller manger chez Cindy, "en face de la boulangerie". Le snack est plus évident à trouver que la boulangerie qui n'a pas de devanture et n'ouvre qu'en milieu d'après midi.


rue Mataiva en plein midi Ce n'est pas le Pick-up de Noella
Un tableau des menus et des tarifs est accroché au mur. Cindy, toute ronde dans sa robe à fleurs, n'a pas de clients, mais veut bien nous faire à manger. Ce sera steaks frites ou schaomen. En grands aventuriers, nous essayons ce que nous ne connaissons pas, et demandons 2 parts de schaomen. Le regard de Cindy sur nous pour évaluer nos capacités stomacales, en dit long. "Vous êtes de gros mangeurs ?" Pas vraiment. "Prenez-en un pour deux et si vous avez encore faim, je vous en ferai un autre. Il ne faut pas gaspiller". Elle revient, un peu plus tard avec une énorme assiette garnie d'une montagne de légumes émincés cuits avec des morceaux de poulet, le tout arrosé de sauce au soja. C'était très bon et effectivement suffisant pour nos estomacs de "popaa".
Il n'y a pas de fruits, alors nous nous offrons une glace. Guy demande s'il peut avoir un café. "Normalement je n'en fais pas, mais je veux bien faire une exception." En apportant la tasse, elle s'assied à notre table pour bavarder un peu. Elle est curieuse de savoir d'où nous venons, combien de temps nous voulons rester...
Nous avons, aussi, beaucoup de choses à lui demander. Elle nous parlera, avec effroi, d'un raz de marée qui a eu lieu en 1998. "Il n'y avait pas de vent, c'est juste la mer qui est montée. Nous n'avions pas eu d'informations par la radio. Nous nous sommes réfugiés chez un oncle qui avait une maison plus haute. Dans ce cas là, le mieux est d'aller sur un bateau. Toutes nos affaires sont parties à la mer, nos réserves, nos produits pour traiter les coquillages... Dans le lagon on trouve encore des machines à laver et plein d'objets que l'eau a emportés !"

Que fait-il ?
De retour "chez nous", Guy veut immortaliser nos colliers de fleurs de tiarés, avant qu'elles ne fanent. Nous ne pouvons pas, hélas, en conserver le parfum. Puis nous commençons à défaire partiellement nos valises et à trier le linge sale que Noella s'est gentiment proposé de laver. Guy teste son nouveau jouet : un appareil réflexe avec zoom. "Fera-t-il de belles photos de près ?"
On ne peut même pas se reposer tranquille ! le va et vient des voitures sur le quai, nous rappelle Tadine et l'arrivée du Havannah.
Il semble que oui. Ce petit margouillat s'est complaisamment laissé prendre sous toutes les coutures.
Pour les sujets éloignés, il se débrouille bien, aussi. Le quai derrière lequel ce cargo est accosté, est bien à 400m du bungalow.

Comme à Maré, un bateau passe, tous les mardis matins, apporter les provisions. Ici, c'est le "Dory". Il transporte aussi des passagers. C'est l'occasion d'un peu d'animation. 3 autres bateaux ravitaillent l'île.
ça grouille dans chaque flaque d'eau le chien, les vélos et plus loin le scooter attendent la fin de l'école.
Chaque jour, après les fortes chaleurs de l'après-midi, nous avons fait une promenade à pied.
Le village de Tikehau, est constitué de 2 rues centrales, parallèles, et de quelques chemins, dont l'un longe l'océan. Il y a peu de voitures, c'est donc idéal pour la bicyclette, mais nous n'avons pas eu de chance de ce côté là. A 16h, le mardi, nous faisons un essai auprès du loueur qui nous dit que c'est trop tard parce qu'il ferme à 17h30. Comme il loue à la journée, il trouve que ça ne vaut pas le coup.

Les enfants, eux, s'en donnent à coeur joie, avant et après l'école. La maîtresse se déplace en scooter.
? rue Rangiroa.
Nous ne sommes pas venus à Tikehau par hasard. On nous avait dit que c'était un atoll moins abîmé par le tourisme que son proche voisin Rangiroa. Il y avait aussi une autre raison. Nous avions lu que Bernard Moitessier, navigateur français solitaire, célèbre dans les années 70, était venu vivre à Ahe, un atoll voisin. Il avait beaucoup œuvré pour que les polynésiens plantent massivement des arbres, surtout fruitiers, pour subvenir à leurs besoins. Son message était passé aussi à Tikehau.

Bougainvillées, hibiscus, pandanus … Effectivement, ce village est très vert et fleuri :
Quenettes fruits de l'arbre à pain.
Nous assistons à la cueillette des quenettes. La personne à qui nous demandons ce que c'est, nous en fait goûter. C'est très sucré, mais une fois la peau enlevée, il n'y a pratiquement pas de chair sur le gros noyau. Les fruits de l'arbre à pain sont très charnus et nourrissants, mais ce n'était pas encore la saison.
stock de coco et truck : bus polynésien réservoir pour l'eau de pluie
Nous avons l'impression que chaque famille rassemble des noix de coco pour vendre la coprah. Les noix sont décortiquées. La chair est mise à sécher au soleil puis stockée dans des sacs qui sont portés (au bateau ?).
Chaque maison possède son puits qui lui permet de recueillir de l'eau douce, mais non potable. C'est celle que nous avons dans la salle de bain. Elles sont aussi, équipées d'un réservoir en plastique noir, pour l'eau de pluie. Elle est utilisée pour cuisiner. Pour boire, il faut acheter de l'eau en bouteilles.
sterne bridée noddi
Promenade sur le quai désert. Quelques oiseaux se laissent approcher: la Sterne Bridée et le Noddi à cape blanche.

Pour marcher dans l'eau sans crainte des poisson-pierre, nous voulons acheter des sandales plastiques pour Marine qui n'a pas apporté les siennes. Le magasin du village en propose, mais elles sont mal rangées. Dans la case 39 et 40, il y a du 44 et dans la case 41 aussi. Dans la case 38, c'est du 36. Le jeune qui vient nous aider, trouve que c'est mal rangé, mais remet tout n'importe comment. Finalement entre 36 et 44 nous trouvons une paire de 41 avec laquelle nous repartons.
Quel plaisir de se promener en bonne compagnie à la chasse sur le platier
Deux soirs de suite, nous sommes passés devant la même maison et les mêmes chiens nous ont suivis. Arrivés sur la plage, côté océan, ils sont, à chaque fois, entrés dans l'eau peu profonde du lagon extérieur, semblant chercher quelque chose.
De ce côté, c'est l'océan. Il attaque le récif de corail, formant de grosses vagues. Ils sont au moins une quinzaine !
Ils courent dans 20 cm d'eau et sautent. Quelques fois ils fouillent avec leurs pattes avant. Ils finissent par attraper un poisson sans jamais mettre les yeux dans l'eau. Ils se promènent avec, mais apparemment ne le mange pas. Ce n'est pas perdu pour tout le monde. Ces bernard-l'hermite ont l'air de faire un festin de l'un de ces poissons morts.
le poisson mesure de 2 à 3cm
les chiens ne sont pas les seuls à pêcher. Ce petit échassier noir vient d'attraper un bébé poisson-chirurgien bagnard. Ce beau crabe s'est vaillamment défendu, faisant face aux assauts de notre objectif.
Faré sur la plage poissons chirurgiens bagnards
Avec Noella, nous avions organisé les 2 jours pleins que nous passions sur l'atoll. Mardi, sortie à la journée avec son oncle, et pique nique sur un motu. Mercredi plongée pour Guy et bronzette sur la plage de l'hôtel pour Marine, suivi d'un déjeuner à l'hôtel. Agité par le grand vent de la nuit, le lagon n'est pas accueillant, surtout qu'il fait gris. Nous annulons la sortie en espérant que la houle se soit calmée demain. En milieu de matinée, le soleil revient et nous partons, avec nos masques, pour une baignade à l'abri du vent.
Au bout du village, nous trouvons une jolie plage, face à un petit motu. L'eau est peu profonde et bien chaude. Nous demandons à un monsieur assis devant chez lui, si la baignade n'est pas dangereuse ici, à cause des courants. Pas de problèmes !
motu en face de la plage poisson ballon-pintade
Nous passerons une heure dans l'eau. Il y a peu de coraux et peu de poissons. Nous les connaissons tous. Guy fait quelques jolies photos, mais il ne peut pas se plaquer au fond car il n'a pas sa ceinture de plongée. (Nous ne voyageons pas avec ses 2kg de plomb). Nous abordons sur le motu d'en face, que nous visitons. Nous ne trouvons que du sable et un peu de végétation. De l'autre côté, encore de l'eau et un autre motu...et ainsi de suite, tout autour du lagon.

A midi nous retournerons manger le même menu chez Cindy. Et c'est cet après midi là que nous échouerons dans notre tentative de location de vélo. Alors, ce sera repos, lecture, écriture, promenade et photos dans le village.
ancienne ferme perlière Pas trop de soleil, beaucoup de vagues...plongée difficile.
Mercredi, le temps n'est pas plus mauvais, et nous tentons la sortie dans le lagon. Guy abandonne la plongée dans la passe, estimant qu'il aura encore l'occasion de voir des poissons à Poindimié. Noella nous conduit chez son oncle, et c'est son associé Anatole qui va nous emmener. Ils sont trois à avoir acheté un long bateau à moteur pour créer cette société d'excursions touristiques, d'où le nom "Ionahei" (Io+Nat+Hei). Nous traversons le lagon pour nous diriger vers la ferme perlière. Nous avançons face au vent, et plus nous approchons de l'autre rive, moins il y a de vagues. La bande de cocotiers nous abrite de plus en plus.
Au bout d'une demi-heure, Anatole arrête le bateau pour aller pêcher notre repas. Nous en profitons pour aller voir les petits poissons. La mer est encore agitée. Anatole prête 2 plombs et une ficelle ainsi que des palmes à Guy. Marine n'a que son masque et finit par abandonner après avoir bu la tasse. Sans les palmes, elle n'est pas à l'aise et elle vient de voir un requin attiré par la chasse d'Anatole.
poisson-ange royal nuage de poissons sergent-major
Les poissons ressemblent à ceux de Nouvelle Calédonie. A cet endroit, les coraux ne sont pas très beaux. Anatole remonte avec 5 poissons et nous avoue qu'il n'y avait pas un, mais trois requins autour de nous. (Des gentils, pas très gros...on ne risquait rien !)
jolie ferme perlière dans un cadre très esthétique
Ensuite, il nous conduit à la ferme perlière où la mer est très calme et le soleil bien présent. Il part vers son motu familial où sa cousine Nathalie va cuisiner les poissons.
Nous sommes gentiment reçus, mais nous ne visiterons pas les ateliers. Il paraît qu'à cette saison, il n'y a rien d'intéressant à voir. Nous restons sur le ponton. De là on nous montre les bouées noires sous lesquelles sont accrochées les filets contenant les huitres perlières. Ces filets les protègent des prédateurs car il existe dans le lagon 6 espèces de poissons ayant les dents assez solides pour casser les nacres. Dans un bassin, ils élèvent de beaux spécimens de gros labres bleus et des labres "Napoléon". A la place des ateliers, on nous fait visiter le village de cette communauté. Ils sont très bien installés.
Chaque huître est grosse comme la main de très belles pièces
A Tikehau, nous avions remarqué cette barrière décorée de filets à nacres. A Papeete nous irons visiter le musée de la perle, installé dans une grande bijouterie. Nous aurons ainsi toutes les explications techniques. Les coquilles des huîtres ont une nacre tellement épaisse que les anciens les sculptaient pour en faire de belles parures de chefs, mais aussi des hameçons et des leures.
la maison des week-ends. depuis chez Anatole, la ferme perlière l'île aux oiseaux
Anathole revient nous chercher pour nous conduite au motu Purarua, surnommé "l'île aux oiseaux". Autrefois, ils y accostaient pour pique-niquer, mais maintenant ils essaient de ne plus déranger les couvaisons. Nous n'en ferons donc que le tour. Il y a beaucoup d'oiseaux, nous reconnaissons des frégates et des fous de bassan. Nous serions bien allés nager ici, car l'île est entourée de coraux prometteurs.

Nous sommes très contents qu'Anatole nous propose d'aller manger, car nos estomacs commençaient à réclamer. Il nous conduit à "sa maison de week-end". Cette appellation nous surprend. Il nous répond que chaque famille a la sienne, cela permet d'être au calme, de temps en temps. On comprend que vivre toute l'année dans une si petite communauté, soit un peu pesant et qu'ils aient besoin, parfois, d'échapper aux regards des voisins.

Nathalie nous a préparé une salade tahitienne avec le poisson-perroquet et a fait griller les autres poissons (un rouget, 2 chirurgiens et un perroquet) qui sont servis avec du riz blanc. Après le repas, nous commençons un tour du propriétaire, et nous constatons que nous sommes tout près de la ferme perlière. Nous abandonnons la promenade car nous voulons nager une dernière fois. L'eau est très chaude, tellement que les poissons doivent être à moitié cuits. C'est la première fois que nous sortons de l'eau parce que nous avons trop chaud !!

Anatole et Nathalie prendront le temps de converser avec nous sur leurs conditions de vie à Tikehau. Avant 1906, le village était construit à Maiai, sur le bord opposé de l'anneau corallien. Les cyclones l'ont dévasté. Cette partie de l'atoll s'appelle, maintenant, le "secteur". Il n'y a que des cocotiers et chacun peut y aller ramasser les cocos pour la coprah, mais c'est un peu pénible à cause des moustiques. Les habitants ont reconstruit leur village à l'emplacement actuel, plus à l'abri des vents dominants.
Les enfants de Tikehau vont au collège à Rangiroa et ne reviennent qu'aux vacances, en raison du prix de l'avion. Avec 100 000 Francs CFP, on peut vivre ici. Avec la pêche et un peu de travail, on s'en sort, alors qu'à Papeete, c'est impossible. La vie y est chère et pour commencer il faut payer son logement.
L'église (catholique) de Tikehau le cimetière
Ce village de 400 habitants possède 4 lieux de cultes différents : catholique, protestant, adventiste et sanito.
sur le départ à l'ombre de l'aile
C'est délà le dernier matin. Noella nous conduit à l'aéroport et nous passe autour du cou un collier de coquillages en nous disant qu'elle espère que nous reviendrons un jour. Pourquoi pas ? Mais alors, une semaine pour avoir le temps de profiter de quelques plongées avec bouteille, de faire une sortie à la grande passe avec Anatole et de passer une grande journée à bicyclette !

Notre petit avion nous attend. L'employé assis à l'ombre de l'aile, attend patiemment que la porte de la soute s'ouvre. Nous avons bien compris : ICI, IL FAUT ÊTRE PATIENT !!!
Quelques frèles motus. on devine l'hôtel et ses tentacules de bungalows s'étendant sur le lagon.
Dernier regard par le hublot. Tiens ! Il y avait un hôtel de luxe !!
fleurs de frangipanier

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