Jeudi 22 juillet 04, Prony.
ELLES SONT VENUES NOUS VOIR !
C'est à 8h, ce matin là que nous avons embarqué sur la goélette Gween Erminik. Bruno et Armelle nous proposaient de les accompagner dans leur quète : l'observation des baleines à bosses.
Pendant l'hiver austral, ces imposants mammifères viennent dans les eaux chaudes de Nouvelle Calédonie soit pour s'accoupler, soit pour mettre bas. L'observation peut ainsi s'étaler sur plusieurs mois : juillet, août et septembre.
Mais cela, c'est la théorie, car ce sont des animaux sauvages, donc ne suivant que leur instinct. Cette année, par exemple, les premières observations datent du 9 juillet. En 2003, les premières baleines étaient arrivées en juin, alors qu'elles ne venaient que fin juillet ces dernières années.
Les marins, amoureux des baleines, se sont regroupés en association. Conseillés par une scientifique, Claire Garrigue, biologiste marin, ils effectuent un comptage et une identification des cétacés. Ils estiment entre 300 et 600 le nombre de visiteuses. Grâce à la forme et au dessin de leur nageoire caudale, 284 d'entre elles ont été identifiées. Ils étudient aussi leur comportement.
Pour notre plus grand bonheur, à chaque sortie, ils prennent quelques passagers. Nous serons donc 4 ce jeudi matin, à embarquer Baie de la Somme, à Prony, et par chance nous aurons très beau temps et mer calme.
Le bateau mu silencieusement par ses seules voiles, avançait doucement, et à partir de 10h, nous avons eu droit à du grand spectacle. Pendant plus de 2 heures, nous sommes restés avec 2 baleines en parade d'accouplement. Elles apparaissaient à la surface, effectuaient quelques sauts, nageaient un peu, soufflaient et plongeaient en s'enroulant, la queue se relevant légèrement au dessus de l'eau, comme pour un au revoir. Par deux fois, elles sont réapparues tout près du bateau.
Nous les entendions souffler, grogner. Nous les avons vues faire des roulades sur le côté, se retourner en l'air et retomber dans de grandes éclaboussures, sortir seulement la tête (pour nous regarder ?) ou monter toute droites comme des chandelles. Elles avaient l'air de danser, ce que faisait l'une, l'autre le faisait juste après. A un moment, elles ont sauté, exactement en même temps, et cela 2 fois de suite.
Et puis, elles ont gagné le large où nous ne les avons pas poursuivies. Les membres de l'association "Opération Cétacés" respectent un code de bonne conduite envers les visiteuses, afin de ne pas les effrayer, perturber leurs ébats et les faire fuir. Ils ne veulent pas jouer les paparazzis.
Ils attendaient la création d'un sanctuaire dans tout le Pacifique par la Commission Baleinière Internationale, mais Radio France, samedi 24 juillet, annonçait l'échec des 4èmes négociations. Les pays qui chassent encore les baleines ont gagné. Heureusement, la Nouvelle Calédonie, comme la Polynésie, l'Australie et la Nouvelle Zélande entre autre, mettent en place des réglementations d'interdiction de chasse dans leurs eaux.
Il semble aisé de massacrer ces magnifiques animaux pacifiques, qui se laissent tellement facilement approcher.
Vendredi 27 août 04. Tadine.
ETRANGE COMPORTEMENT!
Depuis début juillet, les Nouvelles Calédoniennes signalent le retour des baleines en Nouvelle Calédonie. Effectivement, à la même époque, on nous avait rapporté qu’un pêcheur de Maré avait aperçu une baleine de l’autre côté de la pointe de Eni. Mais depuis, rien n’avait été signalé sur notre île. Pourtant, elles étaient nombreuses vers Nouméa, dans la baie de Prony (voir notre chronique du 22 juillet) et le journal du 24 août nous informait que «A Lifou, les baleines viennent à la rencontre des plongeurs ». Mais à Maré nous perdions espoir, bien que Marine, Claire et J Paul en aient observées 2, devant l’hôtel Nengoné le 4 août.
Or ce vendredi, vers 11h 45, en rentrant d’une réunion au collège, Marine me raconte :
« Vers 8h 30, j’étais avec Evelyne au marché, quand on nous a dit qu’une baleine était devant
le port. Je suis allée sur la jetée. C’était bizarre, on voyait la queue qui sortait de l’eau et ça restait comme ça immobile pendant plusieurs minutes. Elle s’est quand même déplacée, je l’ai observée devant la gendarmerie puis 2 kilomètres plus loin. Là, j’ai vu qu’il y avait un baleineau avec elle.
- Bon ! qu’est-ce qu’on fait ? dis-je à Marine. On va la voir tout de suite. On s’emmène un casse-croûte ?
- 0K ».
Tout en pédalant sur cette route qui longe le bord de mer, nous essayons d’apercevoir les 2 baleines, à travers les cocoteraies. Un kilomètre après le dernier endroit d’où Marine et Evelyne les ont observées, nous les repérons. Il est 12h10.
Une bonne partie de la queue émerge. Elle reste ainsi. Incroyable !
Après plusieurs minutes, un petit dos noir apparaît. Un jet d’eau est propulsé vers le ciel. Le dos s’arrondit et le baleineau qui vient de respirer, repart sous l’eau. Patrick, un collègue, est arrivé avec sa longue-vue. Il est, comme, nous émerveillé par cet intriguant spectacle.
Après 10 à 15 minutes dans cette position, la queue s’enfonce et nous revoyons l’aileron dorsal et le dos de la maman. Un jet d’eau s’élève. Elle avance. A nouveau, un jet d’eau, suivi d’un autre moins haut. C’est le petit qui vient de se porter à la hauteur de sa mère.
Les 2 dos s’arrondissent et disparaissent. Nous attendons quelques minutes. Elles ressortent et soufflent un peu plus loin mais toujours en restant près de la côte.
Nous nous déplaçons à notre tour d’environ 1 km. Nous avons dépassé
l’Aquarium naturel. A nouveau, la queue est pointée vers le ciel. Rien ne bouge, mais progressivement, cette queue va tourner sur elle-même pour nous montrer sa face dorsale toute noire.
Nous allons encore faire 2 autres haltes le long de la route et arriver ainsi, tout près de la plage de
Pédé.
Un maréen qui a garé sa voiture pour admirer ce spectacle, nous dit : « elle va continuer vers Eni ». Il est 14h 20 et il nous faut, malheureusement, abandonner si nous voulons être à 15h à la mairie pour le mariage d’Ingrid et de Michel.
Mais le long du chemin, la même question revient sans cesse : qu’est-ce qui se passe sous l’eau ? Que fait-elle dans cette position ? Comme c’est une maman qui vient sans doute de donner naissance à son petit, nous nous sommes plus à imaginer cette réponse : elle allaite son bébé. Voir le dessin de Guy.
Mercredi 1er septembre 04, Tadine.
A CACHE-CACHE AVEC LA BALEINE
Depuis vendredi, nous cherchons la mystérieuse visiteuse.
Samedi: 8h, Nous sillonnons la côte jusqu'à la baie de Eni , en voiture, avec Patrick. Nous ne distinguons que 2 baleines, de loin, plongeant et ne ressortant que toutes les 10 minutes, pour souffler et replonger. Au bout d'une heure, nous abandonnons.
Dimanche: 14h, Nous avons peu de temps, et nous n'irons que jusqu'à l’aquarium. Rien.
Lundi: 10h, Roger passe nous rapporter des CD. Il a l'intention de longer la côte en voiture pour essayer de la trouver. Marine lui prête les jumelles : « si tu la trouves, viens me chercher. – Promis ! » Il repasse vers midi : « je ne l’ai pas trouvée, mais les gens de Wabao et ceux de
Cengéité l’ont vue hier matin.
Elle nourrissait son petit.» Déception !.
Mardi: 10h, Roger est venu nous chercher : «la baleine est à Pédé, tout près du bord. Je viens de passer 45 minutes avec elle et son petit.» Ils sont bien là, mais assez loin de la côte. Nous prenons le risque d’aller à pied jusqu’à la plage
de Nalé .
Nous débouchons de la forêt pour la voir à 100m de nous, la queue en l’air.
Doucement, la queue bascule et subitement, la baleine sort verticalement de l’eau. Elle retombe dans un grand bruit, et produisant deux grandes gerbes d’eau. Le petit l’imite immédiatement. Puis la mère recommence, ainsi que le baleineau. Quel spectacle ! Les batteries des 2 appareils photo sont à plat, mais il nous reste nos yeux. La mère fera en tout 3 sauts, ne laissant dans l’eau que sa nageoire de queue. Le petit en fera joyeusement plus d’une dizaine, sortant entièrement de l’eau, faisant quelques vrilles.En quelques bonds ils auront rejoint la côte, à l’endroit même où nous avions laissé la voiture. Quand nous les laissons ils semblent se reposer paisiblement.
Mercredi: Marine descend à 8h40, souhaitant faire une recherche jusqu’à Pédé, en commençant par le port. Pas besoin de chercher plus, les baleines sont devant le monument aux morts. Il y a pas mal de curieux, de tous âges. Elles sont à 150m du bord. La mère se met la queue en l’air pendant 10 minutes, puis elle bascule doucement.
Subitement, elle sort verticalement de l’eau, montrant son ventre blanc, strié de lignes bleues, dans l’éclat du soleil. Bien sûr le petit en fait autant. Comme hier, la mère fera trois sauts et le petit, plus d’une dizaine. Les gens se rapprochent, s’interpellent, poussent des cris d’admiration : quel spectacle !
Le plus impressionnant, ce sont les immenses cris d’encouragement que poussent les enfants de l’école primaire. Depuis la cour où ils étaient en récréation, ils crient, hurlent, applaudissent et scandent « la baleine, la baleine ». Dans son élan, le baleineau se dirige (toujours avec sa mère à ses trousses) vers le port qu’il contourne et entre dans la zone située juste en face de l’école.
Et là, rien que pour les enfants, il fera 3 sauts. Il sortira sa tête plusieurs fois, pour écouter les ovations de son jeune public. Elles reprendront la direction du large, contourneront la pointe et iront se reposer dans les eaux
de Mébuet. Un coup de sifflet retentira, signalant aux enfants que c’est l’heure de reprendre la classe.
Les observations suivantes de fin de matinée vers Mébuet et de l’après-midi vers l’aquarium, ne montreront que des animaux au repos. La mère est bien allongée et le petit lui tourne autour.
Jeudi: 8h30, Marine reprend son vélo pour une prospection sérieuse de Tadine jusqu’à Pédé, sans succès. Les baleines sont peut-être à Wabao, mais c’est trop loin pour ce matin.
Sont-elles parties, maintenant que le petit est fort et semble téter moins souvent ?
Jeudi 23 septembre 2004, Tadine.
OPERATION CETACES AU COLLEGE.
Claire Garrigue, biologiste marin et présidente de l’association Opération Cétacés est venue à Maré pour une série de conférences sur les baleines à bosses de Nouvelle Calédonie.
Devant 4 classes de collégiens, à l’aide de diapositives, elle a expliqué en détail, tout ce que la science en connaît. Elle a aussi décrit ses méthodes d’observation.
Après nos observations du 27 août, Patrick avait contacté l’association pour avoir son avis sur le comportement de notre baleine. Ce n’est qu’après son retour de vacances, qu’il a pris connaissance de la réponse de Claire Garrigue :
Cette baleine avait été observée en 2001 et baptisée «Volute» sous le numéro HNC237.
Elle a été vue Baie de Prony (au sud de la Grande Terre) le 9 septembre 04. Le lendemain, au même endroit, d’autres personnes l’ont signalée, en position «tête en bas». Ce comportement n’avait été observé qu’une fois en Nouvelle Calédonie, en 2001 et était le fait de Volute. Par contre, dans d’autres régions, notamment au Brésil, il est régulièrement observé.
Claire Garrigue s’est montrée gourmande des détails relevés lors des différentes observations de chacun, à Maré. La mise en évidence du parcours de Volute entre Maré et la Grande Terre permet de mieux connaître leur déplacement avec un baleineau (vitesse, distance). Volute et son petit auraient mis 4 jours pour parcourir environ 150 kilomètres.
Notre supposition d’un allaitement pendant cette position, lui paraît tout à fait possible, mais pour l’instant, on ne peut rien affirmer. Par contre, le dessin est faux, car les petits de mammifères marins ne tètent pas, ils reçoivent le jet de lait dans la bouche, après stimulation. (en donnant des coups de museau, comme un veau ?).
Rendez-vous a été pris, pour un échange d’informations, à la prochaine saison des baleines : de juillet à septembre 2005… Ce sera long !.
En attendant, nous avons un mois pour nous rendre au Centre Culturel Yéwéné-Yéwéné et en apprendre plus grâce à l’exposition « A la rencontre des Léviathans »que l’association Opération Cétacés vient de mettre en place à La Roche.